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JC POL

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[Les dix premières pages...]

 

 

Nelly MacLeod était allongée sur son lit. La couverture beige était retirée et pendait sur le côté. Un simple drap recouvrait son corps jusqu'à la taille. Elle n'était pas vraiment belle mais son petit nez retroussé donnait envie de lui sourire. Elle était comme ces femmes dont on ne peut s'empêcher de penser qu'elles ont du charme, une sorte de dynamisme rieur, qui consolent des beautés rigoureuses et lassantes.

Elle fixait avec une telle intensité la reproduction du tableau moderne qui seul ornait le crépi blanc du mur de sa chambre, que les deux hommes, qui lentement s'approchaient, se sont retournés ensemble. Le plus jeune, troublé, a haussé les épaules sans raison puis s'est approché, à petit pas, du lit.
-- C'est la première fois ?
Il n'a pas répondu à la question. Il hochait la tête sans détourner son regard du visage calme de la femme. L'autre homme au contraire regardait partout, l'air absent, un peu désabusé, avec des gestes lents.
-- C'est drôle, on n'a pas l'impression qu'...
-- Non. C'est parce qu'elle est jeune. Touche à rien.
Le jeune homme a sursauté comme s'il avait retenu un mouvement en projet. C'était idiot l'envie de toucher ce corps allongé dans cette attitude paisible d'une femme qui attendrait son amant en pensant que le bonheur c'est, aussi, avant le bonheur. À force de fixer ce regard, il lui a semblé que les pupilles avaient frémi. Il a cligné des yeux comme pour s'assurer de sa vision, puis il s'est retourné encore pour regarder le tableau sur le mur blanc. Il a deviné une silhouette de voilier, qu'il n'avait pas repéré la première fois, parmi les formes rondes et orange qui chaviraient dans l'opaque marine d'un improbable décor d'aquarium.

On a frappé. Son compagnon est allé ouvrir. Lui n'a pas bougé. Il a entendu dans son dos une voix mal timbrée, qu'il ne connaissait pas, désagréable.
-- Alors, Péravy ?
-- Rien, commissaire, on arrive juste.
-- C'est pas bon... C'est vraiment pas bon... (Il y eut un silence, le temps que le nouvel arrivant prenne ses repères dans les lieux,)... Elle est journaliste... et anglaise en plus ?

En pénétrant dans la chambre, il a remarqué le jeune homme près du lit, penché sur le visage. Sans poser de question, il l'a juste désigné du menton à son interlocuteur.
-- C'est Richard, commissaire, le nouveau stagiaire.
Le jeune homme s'est retourné à l'appel de son nom ; il a salué le commissaire d'un petit signe de tête; il n'osait pas parler. L'homme dont la présence dégageait dans toute la pièce une odeur désagréable de vieux tabac brun ne l'a pas salué, se contentant d'un vague grognement. Richard n'a pas été surpris de le détester au premier regard. Les échos divers, glanés ci-et-là au détour des réflexions de ses tout nouveaux collègues, l'avait déjà imperceptiblement conduit à cette évidence, Saurin était un con, un vraiment très con.

De toute façon, il n'avait rien à dire. Il aurait bossé, il aurait eu le choix de son affectation ; mais il n'avait pas bossé... Et cette voix rocailleuse... On n'imagine pas une voix vulgaire chez un quinquagénaire. Pourtant Saurin avait une voix vulgaire. Il a souri malgré lui lorsqu'il a pensé qu'elle ressemblait à celle de Desproges imitant son papa "qu'a un cancer de la gorge". Ce serait bien qu'il ait un cancer de la gorge, Saurin.

-- Elle branlait quoi, et qui ?
L'inspecteur Péravy n'a pas relevé la vulgarité de la question. Il a juste marqué une pause explicite avant de répondre.
-- Son job, commissaire... Elle bossait pour un hebdo britiche.
-- Qu'est-ce qu'ils viennent nous faire chier les britiches ?
-- Ben, c'est... Ca les intéresse, faut croire... Ils ont fait ça dans d'autres pays, Allemagne, Italie, Belgique, Espagne.
-- Comment tu sais ?
-- J'ai appelé sa rédaction pour les prévenir et me rencarder un peu.
-- Tu parles anglais ?
-- Pas parfaitement mais je me débrouille pas trop mal.
-- Bon alors ?
-- Alors ils font une série d'enquêtes. Dès qu'il y a une élection importante dans un pays de la Communauté Européenne, ils envoient un journaliste pour suivre la campagne, les candidats... tout le cirque habituel quoi !... Et ils racontent à leurs lecteurs comment ça se passe, le système électoral, les partis politiques, les enjeux, les mentalités, enfin tous les trucs comment ça marche pas pareil que chez eux. C'est elle qui avait déjà couvert les reportages sur les dernières élections allemandes et belges. Elle parlait français et allemand, et anglais bien sûr.

Le Commissaire Saurin a regardé sans émotion, comme une chose qui serait posée là, le corps étendu. Il a levé le drap. Richard a retenu un frisson. Ce n'était pas laid, mais... mais étrange, comment dire... mystérieux, un sexe de femme morte, d'une jeune femme qui avait du charme, et un drôle de petit nez marrant. Pas laid, mais il avait frissonné.

-- Et on l'a butée là dans sa chambre de Novotel. (Il s'est penché vers le visage.) Tu as vu, c'est bizarre, cet angle; sous le menton en remontant vers le centre de la tête... un tout petit calibre... et presque sûr à bout touchant.
-- Oui, probable. Pour le reste, on peut juste dire que ça s'est passé cette nuit... Bien sûr les voisins n'ont rien entendu... et comme ce ne sont pas des voisins ordinaires, on ne peut pas trop insister pour leur demander.
-- Non, tu as raison, faut pas trop.
-- A part ça, on peut noter que...
Le commissaire Saurin l'a interrompu brutalement
-- Bon allez, on sort; on laisse les scientifiques enculer leurs mouches.

Dans son dos, l'inspecteur Péravy a levé les yeux au ciel, indiquant à son jeune collègue, qui a souri pour montrer qu'il partageait son agacement, de les suivre.







Le commissaire Saurin s'était installé au bureau du directeur du Novotel. Face à lui, sur deux fauteuils de cuir noir, l'air très très ennuyé, le directeur de l'hôtel et, l'air très fatigué, le veilleur de nuit. Debout sur le côté, mystérieusement complices. Péravy et Richard.

-- Et vous êtes sûr de l'heure ?
-- A peu près monsieur le commissaire.
-- Au quart d'heure près ?
-- Oui, c'est ça, au quart d'heure près. Entre une heure et une heure trente.
-- Elle était seule ?
-- Non elle est rentrée avec tout le monde... Avec toutes les personnes du... de la politique.
Le directeur est intervenu.
-- Il y avait un meeting hier soir. Comme elle suivait, je crois, la campagne de monsieur Terray, elle est rentrée avec tout le monde, c'est-à-dire l'état-major de Monsieur Terray qui raccompagnait Monsieur le ministre et ses conseillers. Ils rentraient tous du meeting.
Le veilleur de nuit a approuvé.
-- Oui, c'est ça. C'est Monsieur Terray qui était avec elle.
Le directeur est intervenu une nouvelle fois.
-- Monsieur Terray raccompagnait Monsieur le ministre et par conséquent elle était, comment dire, avec tout le monde.
-- C'est Monsieur Terray qui l'accompagnait, c'est bien cela ?
Le veilleur de nuit s'est tourné vers son directeur. Saurin a claqué des doigts
-- Ho ! C'est ici que ça se passe.
-- Oui... Ils s'accompagnaient... tous.
Le commissaire a souri.
-- Ils s'accompagnaient les uns les autres... Vous savez ce n'est pas un pêché d'être avec une dame journaliste par ailleurs charmante, qui devait avoir, un tas de question à poser. C'est le contraire qui serait un péché... Dites-moi, ensuite, tout le monde est reparti ?
-- Pas immédiatement, ils ont pris un verre tous ensemble. C'est moi qui les ai servis.. Ils sont restés une petite demi-heure, puis ils se sont salués et ont pris congé. Les amis de Monsieur Terray sont repartis avec lui. Monsieur le ministre, Madame et leurs conseillers ont rejoints leurs chambres. Mademoiselle MacLeod aussi.

Saurin regardait le tableau des chambres du premier étage, étalé sur le bureau.
-- Là c'est la chambre de Madame MacLeod ?
Le directeur s'est penché sur le bureau.
-- C'est ça.
-- A sa droite celle du Ministre, monsieur Vicq d'Azyr et madame... (Le directeur a hoché la tête pour approuver) Rien à gauche ?
-- Non. Monsieur le Ministre nous avait demandé de lui réserver une chambre supplémentaire à usage de bureau pour lui et ses collaborateurs. Comme c'est la seule chambre qui dispose de plusieurs postes téléphoniques...
-- Combien de collaborateurs.
-- Quatre. Je veux dire quatre couchant dans nos murs.
-- Disposés comment ?
-- A l'étage, à peu près en face.
Le directeur a pointé avec son index quatre cases. L'inspecteur Péravy est intervenu.
-- Le ministre est venu soutenir la candidature de Monsieur Terray au meeting d'hier soir, aujourd'hui, il inaugure un lycée technique...
-- Et les gars de la cellule de sécurité ?
Péravy a fait une drôle de moue.
-- Je les ai rencontrés. Il sont modérément joyeux. Cinq gendarmes. Les spécialistes habituels, un dans le hall à contrôler discrètement les identités, un dans le bâtiment, et trois autour de l'hôtel Et j'oubliais les flics locaux, qui comme d'habitude faisaient du zèle en tournant dans les parages.

Saurin a souri sans qu'on sache si seul le sort des malheureux gendarmes l'amusait.
-- Et personne n'a rien vu ?
-- Non. Probablement qu'il n'y avait rien à voir.
Saurin a soupiré en hochant la tête.
-- Je crains bien Monsieur le directeur que vous logiez un ou une drôle de pensionnaire... Naturellement je parie que l'hôtel était complet ?
-- Effectivement Monsieur le commissaire. Quelques journalistes, et puis notre clientèle habituelle d'hommes d'affaires.
-- Comment se fait-il que Monsieur Vic d'Azyr ne soit pas descendu à la préfecture, comme ça se pratique habituellement ?
Le directeur a précisé
-- Je l'ignore, mais ce que je peux vous dire, c'est que Monsieur Vic d'Azyr nous fait l'honneur de descendre dans notre établissement chaque fois qu'il vient dans la région.
-- Toujours ?
-- Me semble-t-il... C'est à dire quatre ou cinq fois depuis les deux années que je dirige cet hôtel.

-- Bien, je vous remercie. Péravy, on voit Monsieur Terray à quelle heure ?
L'inspecteur a regardé sa montre
-- On devrait y être, commissaire.
-- OK, passe-lui un coup de fil. Dis-lui qu'on arrive... (Il s'est levé en ramassant une pochette verte et bleue d'allumettes publicitaires). Je vous remercie. Monsieur le directeur, (il a montré la pochette)... et de votre collaboration.


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